relier des mondes
par Anne MALHERBE
Florence Obrecht, relier des mondes.
Point commun parmi quelques unes des figures récemment représentées par Florence Obrecht : les lunettes. Métaphore de la vision accrue à laquelle la peinture nous invite ? Ou de la peinture elle-même dans laquelle se reflète une certaine vision du monde ? La série des « Explorateurs » est née d’un séjour à la montagne et plus particulièrement de ces skieurs aux lunettes miroitantes qui miniaturisent dans leur verre tout un panorama.
Anciennes lunettes d’aviateur ou de pilote de voitures : de fil en aiguille, l’objet se déplace et nous renvoie à une époque pas si lointaine où émergeait la figure de l’explorateur.
Ainsi procède Florence Obrecht : par déplacement d’images.
La paire de grands portraits, pièces maîtresses de l’exposition, montrent deux personnages revêtus de colifichets divers. Ce sont des explorateurs d’aujourd’hui qui s’invitent dans des imaginaires multiples. Ils ont ce côté mi-factice mi-réaliste qui, jadis, était le propre des dioramas, et renvoient ainsi à une période où l’exploration donnait lieu à des images d’Epinal. Mais ces peintures, par leur côté magistral, rappellent aussi les portraits de couples à la Franz Hals : les figures s’y déploient, majestueuses, avec ces vêtements intrigants qui invitent au décryptage. Ainsi, nous allons et venons dans l’histoire de l’art. Dans les lunettes de ski d’Hanna Hoa, l’artiste se reflète comme Van Eyck dans le miroir des Epoux Arnolfini, creusant dans l’espace fictif de la toile le monde réel de l’atelier. Cette jeune femme au visage baissé semble d’ailleurs moins explorer le monde autour d’elle qu’ouvrir en elle la possibilité de mondes.
Ces mondes, ce sont ceux que l’artiste tisse entre eux. Ainsi, dans son atelier, elle réactive la pratique ancestrale des memory jugs, accumulant sur des poteries des bouts d’objet aux origines variées, kitsch ou rétro, comme autant de réalités dont les débris auraient échoué en un même endroit. Il y a aussi les livres trouvés auxquels, en vertu de liens ténus, elle adjoint des photographies anciennes, des peintures d’après photos ou des fleurs séchés : en tressant les choses entre elles, l’artiste y glisse une douceur nouvelle, la possibilité d’une coexistence. Son travail est prophylactique. Ainsi en témoigne la « boîte de secours » ornée d’un Saint-Esprit, aussi ordinaire par son contenant que miraculeuse.
L’artiste s’efface et se glisse dans la peau d’une victime de zoo humain, donnant à celle-ci une visibilité neuve. Ou bien, s’affichant avec le visage peint, elle devient tout à la fois Picasso, clown ou sorcier ; loin de se cacher, elle s’expose. Et, en peignant ainsi d’autres femmes, leur attribue une même puissance.
La pratique de Florence Obrecht relève ainsi du bricolage autant que de la peinture, du grand art que de l’art populaire, d’une magie ancestrale que de la maîtrise de l’illusion picturale. Non pas dans la contradiction mais dans une réconciliation réparatrice.
Anne Malherbe