Folklores

par Benjamin BIANCIOTTO

FLORENCE OBRECHT – FOLKLORES
Galerie ALB

Il y a le folklore qu’on imagine, et celui que l’on vit ; il y a celui que l’on visite, et celui que l’on habite ; il y a celui que l’on peint, et celui que l’on épouse. Tous ces Folklores, Florence Obrecht les capture dans le réel, les transformant en une myriade mirifique d’imaginaires.

Looney Runes
Sa peinture est un éloge de la singularité – pas de la différence monstrueuse, ni de l’individualisme banal, mais une manifestation de ce qui est nous tout en étant autre. Elle crée ainsi une communion d’étonnements, de particules parsemées, d’indicibles décalages, d’émerveillements légers ; elle rend pluriel les singuliers. Aux teintes irréelles des papiers fluorescents qui pervertissent les carnations (Colombine ; Deux sœurs) répondent les maquillages de clowns outrageux (Axel ; Autoportrait) : ensemble, ils composent un folklore, une particularité qui regroupe. À l’instar d’un patchwork, l’harmonie naît de ce qui se distingue : côte à côte, reliées par leur unicité, les œuvres constituent une famille élargie au cœur de laquelle l’artiste introduit de nouveaux membres : les enfants de Carnaval viennent jouer avec Liselotte, Camilla-Thérèse et Siméon. De la même manière, la série des Gymnastes réapprend à voir comment un décalage subtil – né d’un mouvement, d’un regard, d’une posture, d’un vêtement – bouleverse la vision et trouble les repères au sein même du connu et du balisé.

Dis, au moins le sais-tu ?
L’histoire de l’art s’en ressouvient à travers des portraits hantés et des paysages inspirés (Crépuscule). On retrouve les premières aspirations modernes (le collage dans Folklore 1) ; les prémices de l’abolissement des frontières entre les arts et l’artisanat (l’Arts & Crafts anglais ressuscitant à l’Est dans Reise ins Ungewisse) ; les échappatoires salutaires des préraphaélites (L’orée) ; les expérimentations contemporaines en couches superposées (Icône 4 (Sophie) dialoguant avec la série des Memory Ware Flat de Mike Kelley) ; les gloires miraculeuses rendues avec quelques perles et des morceaux de ruban (Icône 2 (Zara)). Florence Obrecht opère la fusion des mystères et de la vie, et défie la solitude du peintre.
Avec l’évidence pure et la beauté profonde d’un poème d’Emily Dickinson (Cœur ouvert), ses tableaux remémorent élégamment qu’elle pratique un art de la marge, du débordement. Sa série de portraits familiaux montre la manière dont l’histoire de l’art ressurgit par les côtés (Delaunay chez Axel) ; ou inversement, comment l’artisanat s’impose subrepticement par la tranche et vient défier la majesté du portrait (le ruban à motif sur Liselotte). Ces influences revendiquées sonnent la promesse d’un voyage vers un inconnu familier, rassurant et perturbant.

A Life in the Day
Son œuvre est un carnet de voyages multiples, réels ou inventés, intérieurs ou rencontrés, réduisant les distances spatiales et temporelles. Elle est emplie d’emprunts, de mémoires, de souvenirs, d’allers-retours qui expriment le temps passé et le temps qui passe. Chaque pièce déploie toute une vie en une journée, toute l’humanité en un portrait.
Le traitement des fleurs est à ce titre exemplaire. Elle les décline sur une robe, en couronne dans les cheveux (Autoportrait), en fleurs de soie (Couronne 1 (Chloé)), sur un châle (Icône 3 (Renaud et Marianne)), en papier peint (Folklore 1) ou en peinture murale, en bouquet recomposé (L’orée). Les fleurs sont de la beauté symbolique qui exprime aussi la mort (coupées, ou ornant les cimetières). Les fleurs artificielles réconcilient ainsi les deux éléments en suspendant le temps, lui donnant l’apparence d’une maîtrise désirée.
Dans Folklores, Florence Obrecht invente une nouvelle tradition. Fusionnant le soleil et la pluie (Sonne und regen), elle obtient un arc-en-ciel, déclinant les rêveries mythologiques, réconciliant la théologie et les contes populaires, rendant sa magie à la physique. Cet entremêlement de joie et de mélancolie s’incarne dans Communiante, où sous les tâches de peintures multicolores lumineuses point l’expression d’une pluie douce amère purifiante.

Benjamin Bianciotto